Le temps de l’Afrique se lit dans l’histoire des espaces de vie des africains. Or l’histoire de l’urbanisation des villes africaines est enchevêtrée de plusieurs facteurs. A l’occupation clanique, tribale, voire « ethnique » de l’espace, s’est progressivement ajoutée l’occupation économique par les contraintes du commerce, l’occupation administrative par les réquisitions étatiques pour les routes et bâtiments publics, l’occupation volontariste des nouveaux citoyens épris de cosmopolitisme, l’occupation opportune des exilés africains en quête de ré-immersion sociale, l’occupation informelle du grand nombre sous la pression de l’exode rural et de la prolétarisation massive des banlieues de villes, etc. Les quartiers ou communes des villes africaines n’ont donc pas la même forme architecturale, la même composition de populations, les mêmes besoins et désirs, les mêmes arts de vivre, les mêmes traditions sociales, économiques ou politiques. (Pr Franklin Nyamsi)

… C’EST POURQUOI CHARLOT YVES NE FETERA PAS LE CINQUANTENAIRE DE LEURS INDÉPENDANCES.

dimanche 18 avril 2010


par Jean-Claude Nyoung, dimanche 18 avril 2010, 11:43

Rendez-vous est pris de longue date. Nous devons rencontrer Charlot Yves Tchakounte Kemayou au Centre Culturel français de Douala. 
Moto, accélérez s’il vous plaît !

- Je ne peux faire mieux, lance le conducteur transporte deux autres passagers, nous sommes donc quatre à faire le trajet, guidés par d’intempestifs coups d’avertisseurs sonores. Selon le vocabulaire de la profession, il a bâché. Cela lui fera trois 20 centimes d’euros environ par passager et nous serons de l’autre côté de la ville avant le taxi le plus rapide.
 

Notre ami que tout le monde connaît ici n’est pas encore arrivé. Dans quatre minutes, nous dit-on, il sera là. Quatre après et pas une de plus, le gars souriant sort d’un taxi, entre et s’installe après de grandes embrassades. Nous commençons l’entretien par ses études qui l’obsèdent. Il achève une cinquième année au Centre universitaire de Douala, au Cameroun, l’univers des sociologues s’ouvre à lui.

 « Très dure cinquième année,» nous dit-il, « que je suis en train d’achever avec des difficultés qu’il est utile d’abréger ici pour des raisons personnelles. Satisfaction tout de même malgré ce diplôme camerounais qui ne vaut plus rien ».

Vous traînez une particularité physique qui force le respect. Voudriez-vous brièvement en parler ?
 
Je suis handicapé moteur ; Les médecins disent que je le suis à 80 %. Le ne peux pas me tenir seul debout, deux béquilles me soutiennent en permanence. Je ne suis heureusement pas seul dans la vie, c’est ici une des marques africaines : je compte sur une famille qui m’aime et qui est à mes côtés au quotidien. C’est grâce à elle et aux nombreux amis que je dois de répondre présent au concert des nations.

Un handicapé, qui est-il parmi les siens et les autres ici ?

Quelqu’un qu’il faut regarder dans les yeux, le produit de son histoire, qui garde en lui les séquelles de son handicap, lesquels il ne peut réveiller tout le temps. Alors, pourquoi le regarder ailleurs que dans les yeux et l’esprit, comme le reste des humains !

Arrivé avant vous en ces lieux qui nous reçoivent, les responsables nous ont dit que vous y avez vos habitudes. Pourquoi ici et, comment définiriez-vous ces cet endroit ?

Nous sommes au Centre culturel français. Je ne peux pas dire que ce soit un bonheur pour un africain de se retrouver ici après la douloureuse qui nous a conduits, dit-on, à la réappropriation de notre destinée. Je ne reviendrai pas non plus sur l’histoire, mais dans nos pays rendus indépendants et particulièrement au Cameroun où nous sommes, les bibliothèques sont une denrée rare, que l’on soit à l’Université ou ailleurs. C’est ainsi que le Centre de nos « amis » revient mettre à nos services des ouvrages récents dont l’étudiant et le chercheur ont besoin.

Cinquante ans après les indépendances, que représente la France pour vous ?

Un pays comme un autre ; Durant ma vie lycéenne, je nourrissais l’idée de me retrouver un jour dans une ville française. Je rêvais d’un diplôme obtenu outre-mer mais j’ai changé sur certains points. L’occident offre toujours beaucoup de possibilités d’études à ceux qui ont eu la chance de franchir un certain cap. Je me retiens toutefois sans trop savoir pourquoi ; Peut-être, par peur de trouvez à l’étranger un monde moins humain qui ne puisse autant m’entourer que ma famille et mes amis au Cameroun. J’ai parlé de mon handicap plus haut, je laisse imaginer la suite, eu égard à ce qu’on me dit de l’occident en question.

Que deviennent au pays comme vous le dites, les jeunes qui n’ont pas eu la chance ?

Ils se rabattent sur le secteur informel. C’est d’ailleurs en pensant à eux que je me suis invité en sociologie. Je me suis demandé pourquoi vivre l’exil d’une jeunesse qui peut être bien sur ses terres. Même si cette science n’a pas totalement apporté de réponse à mes questions, elle m’a tout de même aidé à comprendre certains paradoxes de la vie. La vie de mes congénères, comme celle des tout petits sur laquelle j’ai basé mes recherches. J’ai choisi une couche défavorisée composée de femmes, de handicapés, de grands malades d’enfants mais surtout une couche des plus accessibles, composée d’enfants. Bon nombre de ceux qui ont cherché dans ce milieu n’ont pas souvent laissé s’exprimer les enfants. Pourquoi ces enfants supposés être à l’école, sous la tutelle d’un père, d’une mère ou très souvent les deux à la fois, se trouveraient-ils en train d’inverser la tendance de l’éducation ? Alors qu’on les croirait protégés, donc nourris et scolarisés, ils seraient en train de chercher de quoi se nourrir mais surtout nourrir leurs géniteurs, leurs frères et au demeurant, de se scolariser. C’est le premier aradoxe.

Qu’est ce qu’une couche défavorisée dans un pays que l’on dit « défavorisé » lui-même ?

On trouvera toujours plus défavorisé que soi sur terre. Dans notre cas, un second paradoxe naît du système qui laisse faire le premier. Il est essentiellement d’ordre politique. Lorsqu’on ose mettre le doigt sur une question interpellant le politique, ce dernier trouve une parade pour tout bloquer. Mais s’il est caressé dans le sens du poil, il offre tout. Charlot n’est pas à vendre. Se qui vaut pour mon pays l’est pour tous les autres qui vont fêter le cinquantenaire.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant vos recherches ?

Je portais la toute première, mon handicap. Les enfants sont très mobiles, cela m’empêchait de vite les atteindre. Je devais donc associer certains amis à ma démarche, ce qui ne peut toujours se faire gratuitement, encore moins auprès de ces mêmes enfants quand il faut recueillir leur témoignage.

Comment procédiez-vous ?

Je ne livrerai pas tous mes secrets. Mais toujours est-il que je parvenais à motiver mes troupes pour interroger 300 enfants qui constituaient mon laboratoire.

Pédophilie, viol, inceste, violence, abandon, orphelinat, mal nutrition ! Ils en ont librement parlé ?

Ils font preuve de beaucoup de retenue sur ces questions. C’est d’abord la frustration. En rencontrant les premiers enfants, j’étais surpris de les entendre dire que le travail ne devrait pas encore être leur part si tôt. Ils s’y résolvaient pour avoir de quoi payer leur formation professionnelle puisque l’enseignement général ne correspondait pas à leurs aspirations. Un enfant qui ne sait pas que son corps lui appartient, que la pédophilie est proscrite et n’en connaît les conséquences, est facilement entraîné par les aînés de tous ordres, généralement venus d’autres continents. C’est ainsi que les enfants qui n’ont pas encore l’âge de la sexualité se retrouvent violemment projetés dans des pratiques qui ne correspondent pas à leur nature.

Charlot Yves Tchakoute Kemayou, bilan sur les 50 ans d’indépendance, le vôtre !
 

Bilan négatif sur tous les plans. Aucun progrès politique, rien économiquement, encore moins de progrès social. Si ce sont ces objectifs que nous visions en accédant à ce que l’on appelle indépendance, alors nous n’avons rien atteint. L’auto gestion est absente.

A qui la faute ?

A nous ! Je ne comprendrais pas pourquoi toujours accuser l’extérieur de nous empêcher de nous réaliser alors que nous sommes sensés tenir notre destinée.

Touchant tout de même, Charlot Yves se documentant dans ces locaux, propriété de l’ancien colonisateur !

Ce sont encore les paradoxes de nos indépendances. Je condamne mes dirigeants d’une part, en utilisant d’autres parts l’outil du colonisateur qui se tait sur les exactions des dirigeants mis aux affaires par lui. Sommes-nous donc indépendants ? On peu bien être contre la politique d’un pays ami et y avoir des amis, lesquels ne sont pas toujours du même avis que leurs propres dirigeants. Je lis en ces lieux des ouvrages sur la mauvaise gestion de la franceAfrique. Le colonisateur nous donne-il un bâton pour le battre ? Quel paradoxe encore ! Pour autant, nous ne marcherons pas main dans la main. Année de l’Afrique en France ou de la France en Afrique, je suis de ceux qui n’envisagent rien, sinon, m’activer un peu plus auprès des associations légalement constituées au Cameroun et œuvrant pour le bien des enfants du peuple.

Charlot contre les festivités du cinquantenaire alors ?

Au lieu de fêter, nous devrions pleurer à chaudes larmes. Comment vouloir inviter à la danse une personne de cinquante ans qui n’a rien fait de sa vie dans un pays indépendant et riche ? Que dire d’un jeune qui ne sait encore quoi faire de la sienne ? Il n’est pas encore socialement intégré. Le sera-t-il même un jour ?

Vous avez Bac + 5 à 33 ans ! Pourquoi cet apparent retard ?

Handicapé moteur ! Quelle autre contrainte chercherait-on ? Je n’ai pas une seule fois redoublé. Ma ténacité est plutôt à encourager. Je ne caresse pas l’espoir d’occuper un très grand poste quelque part quoique tout soit possible, mais je suis prêt à m’engager dans toute action humanitaire locale ou internationale correspondant à ma ligne philosophique.

Comment vous joindre ?

tkc_yves@ymail.com
00 237 99 81 92 51
 
00 237 77 14 01 99

Charlot Yves Tchakounte Kemayou, tenez bon et merci !

Merci à vous, je ne baisserai jamais la tête.

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