Le temps de l’Afrique se lit dans l’histoire des espaces de vie des africains. Or l’histoire de l’urbanisation des villes africaines est enchevêtrée de plusieurs facteurs. A l’occupation clanique, tribale, voire « ethnique » de l’espace, s’est progressivement ajoutée l’occupation économique par les contraintes du commerce, l’occupation administrative par les réquisitions étatiques pour les routes et bâtiments publics, l’occupation volontariste des nouveaux citoyens épris de cosmopolitisme, l’occupation opportune des exilés africains en quête de ré-immersion sociale, l’occupation informelle du grand nombre sous la pression de l’exode rural et de la prolétarisation massive des banlieues de villes, etc. Les quartiers ou communes des villes africaines n’ont donc pas la même forme architecturale, la même composition de populations, les mêmes besoins et désirs, les mêmes arts de vivre, les mêmes traditions sociales, économiques ou politiques. (Pr Franklin Nyamsi)

ENTRE ANTI-IMPERIALISME ET AFFIRMATION DE SOI : Où est passé le "Savoir Nègre"?

dimanche 24 avril 2011

Tout récemment, j’ai été invité à partager un débat lancé sur une page Facebook par une amie qui a sollicité mon éclairage sur les causes de la disparition de nos vestiges culturels durant des siècles et de notre aliénation actuelle.

Cette amie elle-même, entendait faire savoir à une de ses amies occidentales la richesse de nos cultures africaines d’antan et me sollicitait afin de me hasarder à une éventuelle prospective quant au futur des jeunes générations africaines en quête de sens novateur, d'une rengaine qui résonnerait en eux et leur renverrait une image authentique et non déformée par le prisme uniformisant des différents modèles socio culturels dominants. Cette dame parlait bien de cette jeunesse qui boit du coca-cola, qui est née avec l'internet et maîtrise Facebook et les sites de rencontres ; cette génération en mal de repères qui est convaincue que la vie, la vraie, se mesure au décamètre technologique occidental, tout en nourrissant des fantasmes sur leurs ancêtres qui se battirent pour l’autodétermination de leurs peuples et obtinrent une indépendance dont ils ne profitèrent point eux-mêmes.

L’une des questions fondamentales que cette amie me posait portait sur la production du savoir littéraire et la vulgarisation du savoir nègre, notamment à travers la production historiographique qui, depuis la traite arabe (lors des conquêtes du Moyen –âge « période du Califat qui connut son apogée vers de VIIIe siècle apr. JC en Mésopotamie et s’étendit en Europe» en suivant avec la traite négrière qui débutera en 1444 avec les Portugais pour gagner l’Espagne, la Hollande, la France, l’Angleterre et les Amériques, jusqu’à la colonisation que nos aînés ont connue et qui se perpétue sous des formes diffuses de nos jours.

SUR LES NARRATIONS DU MOYEN-ÂGE AFRICAIN

Les savants et voyageurs arabes Ibn Khaldoun, Ibn Battuta contribuèrent fortement à véhiculer cette représentation négative du Noir en accentuant la dépréciation (lire Tidiane Ndiaye : le génocide voilé). Plus tard, Jean Léon l’Africain contribua tout autant à donner des Noirs une image péjorative et caricaturale, des brutes, plus guidées par les plaisirs de la chair que par la raison. L’on retrouvera ces reproductions de monographies au fil du temps et plus particulièrement aux XVIIe-XVIIIe siècle (grâce aux récits des voyageurs , missionnaires, commis de l’État) et le siècle des Lumières excipera l'étole de l'universalisme dans sa volonté d’éclairer et de civiliser les nations inférieures et ceci...jusqu’à la IIIe République française avec Victor Hugo, Jules Ferry…Mais je ne brandirai pas ces bribes de connaissances livresques car ça, c'est de l'anachronisme qui dispense de se penser dans le monde nouveau et de le mettre en perspective en sacrifiant à la faiblesse de regarder le passé avec les yeux du présent.
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Le Tarikh es Sudan est une narration de la vie au sein des empires aux temps modernes (XVIe siècle) ; le Tarikh El Fettach qui est une production de Mahamoud Kati, narre la vie dans l’empire de Songhaï au Moyen-âge, mais l’on sait aussi qu’une masse importante de la connaissance livresque de Tombouctou va disparaître avec les guerres et les razzias qui se développent le long des côtes africaines, mais aussi à cause de notre fameuse tradition orale africaine. On sait donc toute la production intellectuelle de Tombouctou, l’épopée de Lyongo Fumo dans l’est de l’Afrique en Swahili, les écritures amhariques de Éthiopie, etc.

La question est : Qu’est devenue la production scientifique nègre dont l’on disait au XIe siècle à Tombouctou que le savoir s’y trouvait, alors que l’or venait du Sud, le sel du Nord ? Où sont les travaux prolifiques d’Ahmed Baba (né en 1556 à Tombouctou et décédé en 1627), grand philosophe africain du XVIe siècle ?

Car comprenons bien que la saignée démographique qui va porter sur 10 à 30 M d’esclaves déportés va avoir des conséquences incalculables sur la pérennité du savoir que chacun des initiés emportait avec lui.
Il est indéniable que l’absence de techniques de conservation (ici adjointe à une incurie manifeste de la part des Africains eux-mêmes), d’archives, de traces, conjuguée avec les conquêtes coloniales et leur impact négatif sur la préservation de notre connaissance y ont énormément joué. L’on sait que lors des razzias, l’on prenait des personnes à la fleur de l’âge et l’on brûlait et saccageait des tribus entières, détruisant toutes formes de productions livresques comme notamment les travaux des savants noirs qui avaient étudié dans les universités arabes. Une seule rationalité s’imposait et c’était le regard occidental, la rationalité occidentale qui devint la norme.

Il reste des vestiges des cultures africaines, mais ils ne sont ni homogènes, ni des productions pouvant être attribuées avec certitude à des populations spécifiques.

D’où le recours régulier de certains Afrocentristes à la période préhistorique pour justifier du savoir nègre, et de la référence à Égypte antique de 3500 av. JC (période des royautés égyptiennes) pour comprendre que les nègres eurent une culture parfois supérieure à celle des peuplades occidentales de l’époque, c’est-à-dire de l’ère que traditionnellement les historiographes qualifient de Moyen-âge chrétien (476 apr. JC-1453)

EN QUOI DOIVENT CONSISTER LES PRIORITÉS AFRICAINES ?

Aujourd’hui, il me semble qu’il serait illusoire de vouloir reconstituer cette histoire en un bloc homogène car elle n’en est pas un. Cependant, le travail de reconstitution de la dégradation de l’identité nègre sous les effets conjugués de la traite arabe, de l’influence européenne, de nos coutumes ancestrales faiblement orientées vers la capitalisation du savoir, est une œuvre scientifique immense qui ne peut se comprendre qu’à la lueur de la compréhension de la brutalité de l’esclavage et de son effet dévastateur à la fois pour les populations négroïdes et sur leurs structures sociologiques ainsi que leurs instruments de production de sens.

En d’autres termes, tout se passe comme si nous nous réveillions aujourd’hui aux XXe-XXIe siècle après un énorme vide de plus de 500 ans et qu’un lavage de cerveau avait été opéré dans l'intervalle sous les effets contigus de l’esclavage et de la colonisation, cette dernière s'étant muée depuis, en "néocolonisation" (encore que cette acception nécessitât une définition claire et univoque).

Cependant, les Africains pour beaucoup, voient la colonisation partout, à tort et à travers, s’exonérant de quelconque responsabilité qui leur incombe dans la marge de liberté relative en laquelle les accords contraignants des indépendances appelés "Pacte colonial" les tinrent.

Reconnaître que nous avons dû consentir d’importantes concessions pour avoir le droit de prétendre à une quelconque liberté est une évidence qui ne se dément pas, et penser que de ces entraves liberticides découle forcément une irrémédiable main basse sur nos aptitudes bridées serait faire un raccourci intolérable. Et pour cause !
Dans tous les contextes sociaux où la conscience a été guidée par une libéralité et une conception sociétale altruistes, il y a eu épanouissement de l’homme. Et c’est cette vision sociétale là qui a manqué à nos dirigeants égocentriques pour la plupart. De même, la brutalité avec laquelle beaucoup de leaders embrassèrent la cause de la liberté absolue lors des guerres indépendantistes fut soit une téméraire et passionnelle conquête, à tout le moins l'expression d'une passion entravant leur lucidité face aux forces férocement impériales auxquelles ils se confrontèrent. Nous devons tirer des enseignements de ces campagnes suicidaires qui nous permettent de nous en souvenir comme des héros…à titre posthume, et sans que leurs sacrifices aient permis quelconque évolution de la cause qu’ils défendaient, il y a 50 ans à peine.
De fait, l'on ne combat pas le canon d'un char, armé d'une machette ! C'est de la bêtise. L'on ne mène pas non plus une révolution assis dans son salon, une main sur son clavier, l'autre recopiant une citation d'un ancien révolutionnaire qui périt à force de combattre tout et n'importe quoi ! C'est de la diversion. J'ajoute que c'est au mieux une provision pour risques et charges, l'écriture comptable minimale d'une errance métampsychotique de l'âme qui peine à trouver sa voie au sein d'un monde devenu trop compliqué pour elle.

Aujourd'hui, au IIIe millénaire, à quoi servent donc in fine ces gesticulations ostentatoires empreintes d’hostilité pour les nations qualifiées de puissances étrangères qui ne chercheraient qu’à imposer leur diktat au reste du monde ? L’Occident est-il le responsable exclusif des démissions institutionnelles des potentats africains ? Doit-on justifier toutes nos aberrations par le déplacement systématique des responsabilités vers l'Occident ? Cette inclination n'est ni plus ni moins que de la PARESSE INTELLECTUELLE en lieu et place de l'analyse critique, de l'agitation passionnelle en succédané du schéma programmatique qu'impose une lecture contradictoire des faits sociaux tout au long de l'histoire humaine, de la fuite là où l'intelligence implique de la lucidité et du courage dans des actions coordonnées et pragmatiques.

D’autres nations, orientales celles-là ont été bien inspirées et ont bâti des systèmes plus ou moins élaborés de manière à en atténuer le joug néfaste des puissances occidentales depuis le XIXe siècle (Chine après les guerres de l'opium, Japon depuis l'ère Meiji (Les Lumières nipponnes du XIXe siècle) et après la 2ème grande guerre, Corée du Sud, Taïwan, Singapour, etc...) .
Mieux, en Afrique même, l’on retrouve des nations qui se sont affranchies des cris d’orfraie adressés à l’Occident responsable pour se saisir de leurs destins : Ghana, Bénin, Tanzanie, Afrique du Sud, Kenya, Zambie, Nigeria, Guinée Équatoriale, etc…et jusqu’aux nations du Maghreb, il n’y a pas si longtemps…Qui des Camerounais ? Ils combattent l'Occident tout en le bénissant pour la suppression de sa dette et ses aides à rallonges, et n'ont pas le courage d'éjecter leur président dictateur  à vie, pour qui par ailleurs ils se sont pris d'une passion débile !
Je fustige ici la gesticulation aporétique et inconséquente sur le réel, qui ne serait au final que le sentiment bassement humain de certains Africains ignorants, qui donnent l’impression d’avoir participé à la libération de l’Afrique, en même temps que je prends conscience de l’énorme fumisterie sous-tendue en filigrane : la lutte acharnée contre leur propre mauvaise conscience intérieure.

De fait, je dis et affirme haut ceci : JAMAIS JE NE CAUTIONNERAI LES ATROCITÉS INDÉLÉBILES DE L'OCCIDENT VIS-A-VIS DU PEUPLE NOIR ! Cependant, j'ai la lucidité de reconnaître cette évidence : Autant l’Occident a une énorme responsabilité dans l’aliénation de notre peuple par son empreinte tutélaire sur les consciences d’abord esclavisées et ensuite colonisées, autant l’Occident n’est pas le responsable exclusif de nos malheurs, souffrances et autres crimes fratricides depuis 50 ans !!! Méconnaître cette responsabilité africaine dans le malheur des peuples africains est une hérésie et un acte de révisionnisme scientifiquement inacceptable, c’est déresponsabiliser les dirigeants et potentats africains qui ont dépouillé leurs peuples !!! Et tout Africain conscient devrait le savoir plutôt que de s'évertuer stupidement à agiter l'étendard du complot contre l'Afrique qui ne sert pas l'Afrique ! C'EST UNE QUESTION DE RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE ET DE CRÉDIBILITÉ INTELLECTUELLE !

LE NOUVEAU CHANTIER QUI SE PRÉSENTE A L’AFRICAIN CONSCIENT

Autant dire qu’un énorme chantier de reprogrammation mentale sur nos valeurs, sur le sens de notre rapport aux autres et surtout de notre autoreprésentation est indispensable pour que l’Africain retrouve, sinon une authenticité originelle que pour ma part, je pense impossible, tout au moins une singularité culturelle et idéationnelle dans son rapport aux autres cultures.

Chaque génération a un rôle inestimable à jouer dans la définition de son propre combat, de son rapport au monde et de son apport au carrefour des civilisations. Les générations d’hier doivent montrer la voie, l’éclairer, mais celles d’aujourd’hui doivent la tracer. Tel est le sens de l’héritage intergénérationnel qui transcende les époques pour apparaître clair à ceux qui en co-façonnent le futur. Pour cela, ils doivent être en mesure de pouvoir faire acte de rationalité dans leurs choix propitiatoires à leurs nouvelles conditions culturelles, géopolitiques et existentielles.

De fait, étudier notre histoire pour un nouveau départ peut être le point d’ancrage d’une réécriture de notre perception du monde, pour les générations futures. D’où l’impératif, à mon sens, de s’extirper des modèles dominants inventés par l’Occident et de réinventer notre apport au monde, à partir de la reconstitution historique de nos fragments comminutifs de culture et d’histoire qui seuls, auront sens et consonance en nous. A la lumière de mon propos, il me semble impératif de nous réapproprier des pans entiers de notre civilisation, afin de ne plus être des réceptacles naturels de cultures désarticulées véhiculées par les nouvelles technologies, tout en en prenant acte, afin d’ « être dans le monde » et apporter notre contribution à la production d’un sens commun.
Cette exigence d’autonomie n’est en rien illustration d’hostilité aux autres entités géopolitiques, ni aux puissances, bien au contraire, elle est le sens nouveau du monde qui s’auréole de cette dimension réflexive qui enjoint à l’homme Africain de se réapproprier ses valeurs en les interrogeant. D’ici partira le syncrétisme et non l’opposition primesautière et assertorique à des cultures perçues comme supérieures, car de cette perception appréciative de l’autre naissent les complexes et les décompensations, voire les résignations qui engendrent le nihilisme de soi-même comme entité pensante.

En d’autres termes, quand l’Africain apprendra à s’aimer lui-même sans se poser en s’opposant aux autres, il commencera à donner sens à son propre destin et ne ressentira plus l’autre comme menace, mais comme allié potentiel. Je suis convaincu que l'on ne peut se construire en s'opposant systématiquement et indéfiniment aux autres, en lieu et place de sa propre existence. L'on naît, l'on existe ensuite et l'on devient. De fait, mon africanisme n'est pas haine et stigmatisation de l'autre, mais affirmation consciente de ma différence, de ma singularité dans une logique parfois contradictoire éloignée de l'opposition compulsive, épidermique à l'autre que certains assimilent à l'ennemi naturel ; cet ennemi qui hélas, se retrouve à bien des égards dans ma propre fratrie humaine.

Car je pense fondamentalement que l’opposition systématique à l’Occident que l’on relève chez beaucoup d’Africains, trouve son origine dans l’impuissance que l’Africain ressent à pouvoir changer son destin et il lui est plus loisible moralement de rechercher chez l’autre les raisons de sa propre paupérisation. Par cette subtile infraction bien que déloyale, il atténue la résonance négative de la dissonance cognitive qui implique bien son incapacité singulière à se saisir du présent et à façonner son destin à l’aune de sa propre ingéniosité, nonobstant les conflits humains inhérents à toutes interactions humaines qui marqueront sa capacité à se saisir d'opportunités et à les utiliser pour accroître son hypostase existentielle. La Chine populaire, 2eme puissance mondiale, aujourd'hui décomplexée vis-à-vis de l'Occident nous montre la voie : La suivrons-nous ?

Henri Georges Minyem


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